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Depuis 2013, la République Centrafricaine (RCA) a plusieurs fois fait la une des médias lorsque la France et l’Organisation des Nations unies (ONU) ont à tour de rôle alerté l’opinion internationale des signes avant-coureurs d’un génocide. Des épurations ethniques et d’autres atrocités de masse sont commises de manière quotidienne contre des communautés entières. Un nombre incalculable de civils a déjà perdu la vie. L’instabilité politique et sécuritaire a ainsi mené à une grave crise humanitaire. En mai 2018, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) recense près de 1,27 million de personnes déplacées ou réfugiées, un niveau sans précédent.

Les initiatives visant à rétablir la stabilité se sont multipliées au cours des 20 dernières années, mais le bilan est négatif. Une série d’accords de paix, de désarmement et d’amnisties a été négociée, des missions onusiennes de maintien de la paix et d’assistance humanitaire se sont installées durablement, des opérations militaires extérieures ont régulièrement été déployées et des élections ont eu lieu. Des milliards de dollars ont été dépensés pour tenter de ramener la stabilité et compenser l’absence d’État. Depuis 2014, la mission onusienne en Centrafrique – la MINUSCA – a coûté plus de 3,2 milliards de dollars. L’Union européenne, un partenaire de développement majeur en Centrafrique, a également décaissé plus de 200 millions de dollars au cours de la même période. Malgré ces efforts, la valse des médiations a jusqu’ici échoué dans sa recherche d’un compromis politique permettant ne serait-ce que le respect d’un cessez-le-feu. Aujourd’hui, on déplore une pléthore de bandes armées, de groupes politico-militaires et d’auto-défense contrôlant la totalité du territoire national, ou y exerçant une influence. Pire encore, depuis plus de quinze ans, les responsables de massacres de masse sont reconnus par les acteurs internationaux et ceux de la sous-région Afrique centrale comme des interlocuteurs légitimes avec qui il est nécessaire de dialoguer et de négocier la paix.

En août 2018, le panel des facilitateurs de l’Union africaine (UA) en RCA a annoncé la fin d’une série de rencontres avec les représentants de 14 groupes armés afin de recueillir leurs revendications. Parmi ces responsables figurent pourtant des individus placés sous sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU ou des États-Unis. L’institution a alors présenté une liste de plus de 100 demandes formulées par les groupes armés, qui inclut le partage du pouvoir et une loi d’amnistie. Au même moment, un dialogue parallèle est initié par le gouvernement russe. C’est dans ce cadre que les chefs des groupes armés les plus violents impliqués dans les exactions depuis plus de dix ans ont été invités à se rendre à Khartoum pour signer un énième accord. Ces processus politiques, aussi appelés « dialogues », qui sont censés mettre fin à la guerre meurtrière sont aujourd’hui accaparés par l’agenda des profiteurs de guerre qui ont pourtant démontré n’avoir aucune intention de négocier la paix.

The Sentry a enquêté entre 2016 et 2018 le parcours d’Abdoulaye Hissène, un chef de groupe armé impliqué dans le conflit centrafricain depuis plus d’une décennie. Hissène a d’abord exercé la profession de commerçant de diamants et d’or, avant de diriger plusieurs groupes politico-militaires à partir de 2009. Il a depuis été reconnu coupable d’une tentative de coup d’État à la fin de l’année 2015 et d’actes de violence ciblés sur le personnel onusien et humanitaire. Le gouvernement centrafricain a d’abord émis un mandat d’arrêt en juin 2016, et depuis 2017, le Conseil de sécurité de l’ONU et les États-Unis ont imposé un gel de ses avoirs et une interdiction de voyager, des mesures que le Tchad déclare avoir mises en œuvre. Malgré ces mesures, Hissène joue toujours un rôle moteur dans les violences meurtrières qui frappent la capitale du pays, Bangui, le centre et l’est de la Centrafrique.

L’enquête révèle qu’Abdoulaye Hissène s’est en réalité progressivement imposé comme l’un des profiteurs de guerre les plus influents. En incitant la haine et les divisions entre communautés, il amasse une fortune dans un pays où le quotidien des populations rime avec misère. Sa montée en puissance a été rendue possible grâce aux liens étroits qu’il a su tisser avec les chefs d’État de la sous-région Afrique centrale, leur entourage proche et des associés étrangers. En 2014, alors que la communauté musulmane est victime d’un nettoyage ethnique et qu’il est ministre conseiller à la présidence, lui-même de confession musulmane, il utilise son statut diplomatique pour se rendre à l’étranger, notamment au Cameroun, en République du Congo, au Tchad, au Kenya, aux Émirats arabes unis, en Suisse et en France. Au cours de ces déplacements, il a élargi sa liste d’associés et créé des opportunités d’affaires lucratives. Fin 2014, après avoir été limogé de ses fonctions officielles, il rejoint ouvertement les mouvements d’opposition armée et il déclare alors aux chefs d’États tchadien et congolais que « ce que nous voulons, c’est tout détruire pour reconstruire le pays ». Au même moment, il réussit à convaincre une société pétrolière suisse qu’il est en mesure de lui sécuriser un contrat d’achat de pétrole auprès de la société nationale des hydrocarbures du Tchad. Avec le titre de ministre et de chef de groupe armé en contrôle de vastes zones minières, l’enquête montre qu’il a aussi réalisé des transactions financières liées au commerce illicite de diamants et d’or, en particulier au Cameroun et au Kenya.

La montée en puissance d’Abdoulaye Hissène découle d’un système endémique en Centrafrique et ailleurs en Afrique centrale qui permet à certains acteurs de profiter de la guerre et de la violence pour s’enrichir. Cela crée un terrain favorable aux conflits au détriment de la paix. Les profiteurs de guerre et leurs alliés entravent les efforts politiques puisque les conflits et l’absence d’État sont générateurs de profits. Les violences sectaires sont exploitées comme un outil de négociation politiques et les acteurs qui choisissent de défendre la paix sont exclus des pourparlers. Plus les commanditaires de violence de masse représentent une menace, plus leur pouvoir de négociation politique s’accroît et leurs gains sont élevés. En 2015, le comité de sanctions des Nations Unies a fait un pas en avant lorsqu’il a décidé d’imposer des sanctions sur une société de diamants, Badica/Kardiam, accusée de financer des groupes armés au plus fort de la crise de 2014. En dépit de cette avancée, aucune autre entité ni aucun homme d’affaires n’a subi de conséquences pour son rôle actif dans le financement du conflit armé.

En se concentrant sur Hissène pour illustrer le lien entre les acteurs de la violence et les profits qu’ils génèrent, ce rapport appelle à une réévaluation en profondeur de la stratégie visant à soutenir les efforts de paix en Centrafrique. Tant que la violence profitera à ceux qui exploitent les atrocités de masse et à leurs réseaux d’affaires nationaux et étrangers, la paix restera une illusion. Il est temps de lancer un signal fort à ces profiteurs de guerre afin que leurs crimes aient des conséquences plus coûteuses que lucratives à l’avenir.

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