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> Congo Hold-up

Synthèse

Lorsque la China Railway Group et Sinohydro, deux entreprises de construction chinoises majeures, se sont engagées il y a plus d’une décennie à reconstruire et à développer les infrastructures de la République démocratique du Congo (RDC) en échange d’une part non négligeable des richesses minérales du pays, elles ont fait un pari extrêmement risqué. Ce projet de plusieurs milliards de dollars était à la hauteur des ambitions politiques en plein essor du président Joseph Kabila et des besoins pressants du pays en matière de routes, de voies ferrées et d’hôpitaux. Toutefois, la réussite du projet était loin d’être garantie.

La plus grande fuite de documents et de données bancaires de l’histoire de l’Afrique, obtenus par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et Mediapart, puis partagés avec The Sentry par la PPLAAF et le réseau European Investigative Collaborations, révèle que ces entreprises publiques chinoises avaient plus d’un tour dans leur sac : une société écran, un intermédiaire habile doté d’un réseau de sociétés et la BGFIBank RDC.*  Ce trésor de documents et de données surnommé la fuite « Congo Hold-up » révèle que des entreprises publiques ont utilisé un intermédiaire possédant des comptes dans la banque dirigée par le frère du président pour verser des dizaines de millions de dollars dans les poches de la famille Kabila, de ses associés et de sociétés apparentées à des moments critiques pour les « accords Sicomines ».

Congo Hold-up
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Ce « contrat du siècle », tel que les médias ont surnommé ce dispositif, manquait de transparence dès le départ.* *  En dévoilant cette affaire, l’enquête menée par The Sentry a identifié des preuves manifestes de corruption, démontrant que les sociétés chinoises se sont entendues avec des acteurs puissants en RDC pour accéder à des milliards de dollars de ressources naturelles — le tout avec l’appui de la haute finance mondiale. En d’autres termes, ce qui devait être un investissement historique dans le potentiel de la RDC et qui devait panser les plaies infligées par des décennies de mauvaise gestion et de guerres successives a en fait servi à un autre objectif bien trop répandu parmi les pays tributaires des ressources naturelles : celui de  remplir les poches des personnes puissantes avec les richesses ensevelies sous les pieds du peuple démuni.

Les dossiers divulgués montrent que la société écran qui se trouvait au centre du stratagème — la Congo Construction Company (CCC) — a touché 55 millions de dollars depuis des sources étrangères ; ces fonds étaient apparemment destinés à M. Kabila et son entourage. La CCC a ensuite mis 10 millions de dollars à l’abri alors que la famille Kabila risquait de perdre à la fois le pouvoir et le contrôle de la banque. Ces fonds ont transité par le système financier international, passant par des institutions financières majeures telles que la Citibank et la Commerzbank, en provenance et à destination d’un pays miné par la corruption, le tout sous de faux prétextes et avec peu ou aucune documentation à l’appui. Ces faits démontrent comment des géants financiers dont les capitalisations boursières peuvent éclipser l’ensemble de l’économie congolaise manquent au devoir de protéger les pauvres des affres d’un système kleptocrate.

Lorsque leurs rôles à la BGFIBank RDC — une filiale de la société mère gabonaise — prirent fin, les cadres supérieurs de la banque ont eu affaire à un auditeur interne tenace qui les a accusés de blanchiment de capitaux, en désignant des opérations financières qui comportaient des indications préoccupantes de falsification et de fraude. L’auditeur a déclaré que l’équipe de direction a dissimulé des paiements en déplaçant de grosses sommes d’argent en espèces au lieu d’effectuer des virements en bonne et due forme, et qu’elle a déplacé des millions de dollars sur la base de documents qui semblaient ne pas exister et pour des clients qu’ils n’avaient même pas complètement identifiés. Il les a également accusés d’avoir bloqué ses enquêtes ; et, selon ses dires, de « se foutre » de ses préoccupations tout en opérant généralement « dans un autre monde ».* *

Le rôle de la CCC présente toutes les caractéristiques d’un système de corruption de grande ampleur lié au contrat Sicomines : de grosses sommes d’argent affluant sur les comptes de personnes étroitement liées avec le président, des fonds transitant par une banque gérée par le frère du président sans aucun examen important, des justificatifs insuffisants ou inexacts pour les virements, des sociétés dont les identités des propriétaires ne sont pas claires, des intermédiaires avec des conflits d’intérêts et des décisions prises en secret avec des avantages financiers considérables pour le fournisseur des fonds illicites. Le tout dans le cadre d’un accord entre des acteurs officiels en RDC et en Chine, deux pays dotés d’un risque élevé de corruption notoire.

C’est le peuple congolais qui détient les droits sur de nombreux gisements de minerais stratégiques qui alimentent la vague d’industrialisation qui déferle actuellement sur le monde, enrichissant les sociétés minières, les ingénieurs et les industriels tout en bénéficiant immensément aux consommateurs finaux de véhicules électriques, de téléphones cellulaires et d’ordinateurs portables. Et pourtant, la clique dirigeante des Kabila s’est emparée des institutions qui étaient censées représenter l’ensemble des intérêts du peuple congolais. Ces mêmes individus se sont également emparés de l’élément crucial qui leur permettrait de sécuriser leurs gains mal acquis : une banque. Bien que M. Kabila ait œuvré pour convaincre les électeurs congolais de l’utilité d’un projet sino-congolais qui leur bénéficierait, qui moderniserait leur pays et qui les libérerait de la pauvreté, ces événements ont également perpétué un système qui prive le peuple d’une gestion efficace et honnête de son extraordinaire richesse, repousse l’espoir de transparence de la RDC et pèse sur son rétablissement tant attendu.

Aucune des sociétés se trouvant derrière le contrat de minerais contre infrastructures n’a répondu à des demandes de commentaires, tout comme le président Joseph Kabila et les membres de sa famille. De plus, la banque qui occupe une position centrale dans cette fuite — la BGFIBank RDC — n’a pas répondu à des questions détaillées portant sur les sujets décrits dans ce rapport.

Principales recommandations

À la suite de son enquête, The Sentry émet les recommandations suivantes, dont le texte intégral figure à la fin de ce rapport.

  • Les institutions financières mondiales et les banques congolaises devraient enquêter sur les activités décrites dans ce rapport et établir des mesures pour empêcher qu’elles ne se reproduisent. En particulier, les banques internationales et congolaises devraient collaborer pour améliorer leur devoir de vigilance à l’égard de la clientèle, enquêter sur les conclusions de ce rapport et, de manière plus générale, améliorer le contrôle des opérations financières liées à la RDC, car elles peuvent présenter un risque élevé d’activités financières illicites.
  • Les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni devraient enquêter pour établir si les activités décrites dans ce rapport ont enfreint la loi, publier des avis publics concernant le risque de blanchiment d’argent associé avec la RDC et avec les marchés complexes de financement d’infrastructure liés à certaines entreprises publiques chinoises, et, le cas échéant, émettre des sanctions contre les individus et sociétés mentionnés dans ce rapport qui ont joué un rôle critique.
  • Le gouvernement de la RDC devrait établir une gamme de mesures pour déterminer si les activités décrites dans ce rapport ont enfreint la loi, renforcer l’indépendance des principaux organismes de supervision, augmenter le contrôle des opérations financières éventuellement touchées, imposer de fortes exigences de déclaration des actifs et de partage de l’information entre les autorités publiques et les banques commerciales, et, de manière générale, rendre la tâche difficile aux fonctionnaires qui cherchent à trahir la confiance des citoyens.

 

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